Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/308

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deux, hein ! veux-tu ?… Non… tu me réponds non… Que veux-tu donc me donner, compère ?… Le tiers ?… c’est trop !… Le quart alors ?…

Chupin ne sentait que trop que tous les hommes du détachement étaient ravis de son horrible humiliation, ils riaient et l’instant d’avant il les avait vus éviter son contact avec une visible horreur.

Transporté de colère, il poussa violemment Balstain en criant aux soldats :

— Ah ça !… allons-nous coucher ici !…

Un éclair d’implacable haine flamboya dans l’œil du Piémontais.

Il tira très-ostensiblement son couteau de sa poche, et faisant avec le signe de la croix :

— Saint-Jean-de-Coche, prononça-t-il d’une voix éclatante, et vous, bonne Sainte-Vierge, recevez mon serment… Que je sois damné si jamais je me sers d’un couteau à mes repas avant d’avoir enfoncé celui que je tiens dans le ventre du scélérat qui me vole !

Ayant dit, il disparut, et le détachement se mit en marche.

Mais le vieux maraudeur n’était plus le même. Rien ne lui restait de son impudence accoutumée. Il marchait la tête basse, remué par toutes sortes de pensées comme jamais il n’en avait eues, assailli par les plus sinistres pressentiments.

Un serment comme celui de Balstain, et de la part d’un tel homme, c’était, il ne pouvait se le dissimuler, sinon un arrêt de mort, du moins la certitude d’une tentative prochaine d’assassinat…

Cela le tourmentait tellement, que jamais il ne voulut laisser le détachement coucher à Saint-Pavin, comme c’était convenu. Il lui tardait de s’éloigner.

Quand les soldats eurent soupé, et longuement, Chupin envoya chercher une charrette, où le prisonnier fut garrotté, et on partit.

Deux heures après minuit venaient de sonner quand Lacheneur fut écroué à la citadelle de Montaignac.