Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/310

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— Eh bien ! mon brave garçon, commença-t-il de son ton doucereux.

— Sortez ! cria Chanlouineau exaspéré, sortez, sinon !…

Sans attendre la fin de la phrase, le marquis s’esquiva prestement, effrayé et surtout fort surpris du changement.

— Quel redoutable et féroce scélérat ! dit-il au gardien, il serait peut-être prudent de lui mettre la camisole de force…

Ah !… il n’en était pas besoin. L’héroïque paysan venait de se laisser tomber sur la paille de son cachot, brisé par cette horrible fièvre de l’angoisse qui vieillit un homme en une nuit.

Marie-Anne saurait-elle du moins tirer parti de l’arme qu’il venait de mettre entre ses mains ?…

S’il l’espérait, c’est qu’il songeait qu’elle aurait pour conseil et pour guide un homme dont l’expérience lui inspirait une confiance absolue : l’abbé Midon.

— Martial aura peur de la lettre, se répétait-il, certainement il aura peur…

En cela, Chanlouineau se trompait absolument. Son intelligence était certes au-dessus de sa condition, mais elle n’était pas assez raffinée pour pénétrer un caractère tel que celui du jeune marquis de Sairmeuse.

Ce brouillon, écrit par lui en un moment d’abandon et d’aveuglement, fut presque sans influence sur les déterminations de Martial.

Il parut s’en effrayer prodigieusement pour en épouvanter son père, mais au fond il considérait la menace comme puérile.

Marie-Anne, sans la lettre, eût obtenu de lui la même assistance.

D’autres causes eussent décidé Martial : la difficulté et le danger de l’entreprise, les risques à courir, les préjugés à braver.

Déjà, à cette époque, il n’y avait que l’impossible ca-