Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/317

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un malheur pour nous, monsieur, un très grand malheur !…

Quand son fils prenait ce ton hautain et glacé, le duc ne trouvait rien à répondre ; il s’en indignait, mais c’était plus fort que lui.

— Bast !… fit M. de Courtomieu, si ce coquin-là s’était seulement blessé, nous le saurions…

Ce fut l’opinion de Chupin qui, mandé par le duc, venait d’arriver.

Mais le vieux maraudeur, si loquace d’ordinaire et si empressé, répondit brièvement, et, chose étrange, n’offrit point ses services.

De son imperturbable assurance, de son impudence familière, de son sourire obséquieux et bas, rien ne restait.

Son œil trouble, la contraction de ses traits, son air sombre, le tressaillement qui par intervalles le secouait, tout trahissait la détresse de son âme…

Si visible était le changement, que M. de Sairmeuse le remarqua.

— Quelle mésaventure t’est arrivée, maître Chupin ? demanda-t-il.

— Il est arrivé, répondit d’une voix rauque l’ancien braconnier, que pendant que je me rendais ici, les enfants de la ville m’ont jeté de la boue et des pierres… Je courais, ils me poursuivaient en criant : Traître !… Infâme !…

Ses poings se crispaient dans le vide, comme s’il eût médité quelque vengeance, et il ajouta :

— Ils sont contents, les gens de Montaignac, ils savent l’évasion du baron et ils se réjouissent.

Hélas !… cette joie des habitants de Montaignac devait être de courte durée.

Ce jour était désigné pour l’exécution des condamnés à mort.

Jugés par un conseil de guerre, ils devaient être passés par les armes.

C’était un vendredi.