Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/320

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

parant sa haine et son insensibilité des noms de vertu et de sacrifice à la bonne cause.

Au moins faut-il lui rendre cette justice que son témoignage fut sincère.

Elle croyait réellement, en son âme et conscience, que c’était le baron d’Escorval qui se trouvait parmi les conjurés sur la route de Sairmeuse, et dont Chanlouineau avait invoqué l’opinion.

Cette erreur de Mlle Blanche, qui fut celle de beaucoup de gens, venait de l’habitude où on était dans le pays de ne jamais désigner Maurice que par son prénom.

En parlant de lui, on disait : M. Maurice. Quand on disait M. d’Escorval, c’est qu’il s’agissait du baron.

Du reste, une fois cette accablante déposition écrite et signée de sa jolie et petite écriture aristocratique, bien fine et bien sèche, Mlle de Courtomieu affecta pour les événements la plus profonde indifférence.

Elle voulait qu’il fût bien dit que rien de ce qui touchait des gens de rien, comme ces pauvres paysans, n’était capable de troubler la sérénité de son orgueil.

On ne l’entendit pas adresser une seule question.

Mais cette superbe indifférence était jouée. En réalité, au fond de son âme, Mlle de Courtomieu bénissait cette conspiration avortée qui faisait verser tant de larmes et tant de sang.

Marie-Anne n’était-elle pas, la pauvre jeune fille, emportée par le tourbillon des événements !…

— Maintenant, pensait-elle, le marquis me reviendra, et je lui aurai vite fait oublier cette effrontée qui l’avait ensorcelé.

Chimères !… Le charme s’était évanoui qui avait fait flotter indécise la passion de Martial entre Mlle de Courtomieu et la fille de Lacheneur.

Surpris d’abord par les grâces pénétrantes de Mlle Blanche, il avait fini par distinguer l’expérience cruelle et la profondeur de calcul dissimulées sous les apparences d’une adorable candeur.