Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/334

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— J’y suis, et ferme… laissez-vous couler, bourgeois !…

La corde rompant tout à coup, le baron tombant, l’effort devenant inutile, le brave caporal fut lancé violemment contre le mur de la tour, et rejeté en avant par le contre-coup.

Sans son inaltérable sang-froid, c’en était fait de lui…

Pendant plus d’une minute, tout le haut de son corps fut suspendu au-dessus de l’abîme où venait de rouler M. d’Escorval, et ses bras se crispèrent dans le vide.

Un mouvement brusque, et il était précipité.

Mais il eut cette puissance de volonté merveilleuse de ne tenter aucun effort violent. Prudemment, mais avec une énergie obstinée, il s’accrocha des genoux et du bout des pieds aux aspérités du roc, ses mains cherchèrent un point d’appui, il obliqua doucement, et enfin reprit plante…

Il était temps, car une crampe lui vint, si violente qu’il fut contraint de s’asseoir.

Que le baron se fut tué sur le coup, c’est ce dont il ne doutait pas… Mais cette catastrophe ne pouvait troubler l’intelligence de ce vieux soldat, qui, aux jours de bataille, avait eu tant de camarades emportés à ses côtés par le brutal.

Ce qui le confondait, c’était que la corde se fût rompue au raz de sa main… une corde si grosse, qu’on eût jugée, à la voir, solide assez pour supporter dix fois le poids du corps du baron.

Comme il ne pouvait, à cause de l’obscurité, voir le point de rupture, Bavois promena son doigt dessus, et à son inexprimable étonnement, il le trouva lisse…

Point de filaments, point de brins de chanvre, comme après un arrachement… la section était nette.

Le caporal comprit, comme Maurice avait compris en bas, et il lâcha son plus effroyable juron.

— Cent millions de tonnerres !… Les canailles ont coupé la corde !…