Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/337

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vieille peau qui n’intéresse personne, je n’ai pas pu sauver sa vie… Sans doute à cette heure, ses amis l’ont emporté…

Il s’était penché au-dessus de l’abîme, en disant ces mots… il se demanda s’il n’était pas pris d’un éblouissement.

Tout au fond, il lui semblait distinguer une petite lumière qui allait et venait…

Qu’était-il donc arrivé ?

Bien évidemment il avait fallu quelque raison d’une gravité extraordinaire, impossible à concevoir pour décider les amis du baron d’Escorval, des hommes intelligents, à allumer une lumière qui, vue des fenêtres de la citadelle, trahissait leur présence et les perdait.

Mais les minutes étaient trop précieuses pour que le caporal Bavois les gaspillât en stériles conjectures.

— Mieux vaut descendre en deux temps, prononça-t-il à haute voix, comme pour fouetter son courage… Allons, caporal, mon ami, crachez dans vos mains, et en avant… en route !…

Tout en parlant ainsi, le vieux soldat s’était couché à plat ventre sur l’étroite corniche, et il reculait lentement vers l’abîme, assurant de toutes ses forces, après la corde, ses mains et ses genoux.

L’âme était forte, mais la chair frissonnait… Marcher sur une batterie avait toujours paru une plaisanterie au digne caporal ; mais affronter un péril inconnu, mais suspendre sa vie à une corde… diable !…

Quelques gouttes de sueur perlèrent à la racine de ses cheveux, quand il sentit que la moitié de son corps avait dépassé le bord du rocher, qu’il se trouvait absolument en équilibre et que le plus faible mouvement le lançait dans l’espace…

Ce mouvement il le fit, en murmurant :

— S’il y a un Dieu pour les honnêtes gens, qu’il ouvre l’œil, c’est l’instant !…

Le Dieu des honnêtes gens veillait.