Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/343

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les officiers délibéraient pour décider à quelle porte prochaine ils iraient frapper, quand le caporal Bavois les interrompit.

— Pardon, excuse, fit-il ; ne vous dérangez pas, je connais, à dix enjambées d’ici, un coquin d’aubergiste qui aura mon affaire…

Il dit, partit en courant, et moins de cinq minutes plus tard, reparut, portant une manière de civière, un mince matelas et une couverture. Il avait pensé à tout…

Mais il s’agissait de soulever le blessé et de le placer sur le matelas.

Ce fut une difficile opération, fort longue, et qui, en dépit de précautions extrêmes, arracha au baron deux ou trois cris déchirants.

Enfin tout fut prêt, les officiers prirent chacun un bras de la civière et on se mit en route.

Le jour se levait… Le brouillard qui se balançait au-dessus des collines lointaines se teintait de lueurs pourpres et violettes ; les objets insensiblement émergeaient des ténèbres…

Le triste cortège, guidé par l’abbé Midon, avait pris à travers champs et à chaque instant quelque obstacle se présentait, haie ou fossé qu’il fallait franchir.

Que d’attentions alors pour éviter au brancard des oscillations dont la moindre devait causer au blessé des tortures inouïes… Que de soins !… mais aussi que de temps perdu !

Appuyée au bras de Marie-Anne, la baronne d’Escorval marchait près de la civière, et aux passages difficiles elle pressait la main de son mari… Le sentait-il ?… Rien en lui ne trahissait la vie qu’un râle sourd par intervalles, et quelquefois un de ces vomissements de sang qui épouvantaient si fort l’abbé Midon.

On avançait cependant, et la campagne s’éveillait et s’animait.

C’était tantôt quelque paysanne revenant de l’herbe qu’on rencontrait, tantôt quelque gars, l’aiguillon sur l’épaule, qui conduisait ses bœufs au labour.