Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/344

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Hommes et femmes s’arrêtaient, et bien après qu’on les avait dépassés, on les apercevait encore, plantés à la même place, suivant d’un œil étonné ces gens qui leur semblaient porter un mort…

Le prêtre paraissait se soucier peu de ces rencontres. Il ne faisait rien pour les éviter.

Mais il s’inquiéta visiblement et devint circonspect, quand après trois heures de marche on aperçut la ferme de Poignot.

Heureusement, il y avait à une portée de fusil de la maison un petit bois. L’abbé Midon y fit entrer tout son monde, recommandant la plus stricte prudence, pendant qu’il allait, lui, courir en avant s’entendre avec l’homme sur qui reposaient toutes ses espérances.

Comme il arrivait dans la cour de la ferme un petit homme, à cheveux gris, très-maigre, au teint basané, sortait de l’écurie.

C’était le père Poignot.

— Comment ! vous, monsieur le curé, s’écria-t-il tout joyeux… Dieu ! ma femme va-t-elle être contente !… Nous avons un fier service à vous demander.

Et aussitôt, sans laisser à l’abbé Midon le temps d’ouvrir la bouche, il se mit à raconter son embarras… La nuit du soulèvement, il avait ramassé un malheureux qui avait reçu un coup de sabre ; ni sa femme ni lui, ne savaient comment panser cette blessure, et il n’osait aller quérir un médecin.

— Et ce blessé, ajouta-t-il, c’est Jean Lacheneur, le fils de mon ancien maître.

Une affreuse anxiété serrait le cœur du prêtre.

Ce fermier, qui avait déjà donné asile à un blessé, consentirait-il à en recevoir un autre ?

La voix de l’abbé Midon tremblait en présentant sa requête…

Dès les premiers mots, le fermier devint fort pâle, et tant que parla le prêtre, il hocha gravement la tête. Quand ce fut fini :

— Savez-vous, monsieur le curé, dit-il froidement,