Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/345

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que je risque gros à faire de ma maison un hôpital pour les révoltés ?

L’abbé Midon n’osa pas répondre…

— On m’a dit comme ça, poursuivit le père Poignot, que j’étais un lâche, parce que je ne voulais pas me mêler du complot… ça n’était pas mon idée, j’ai laissé dire. Maintenant il me convient de ramasser les éclopés… je les ramasse. M’est avis que c’est aussi courageux que d’aller tirer des coups de fusil…

— Ah !… vous êtes un brave homme !… s’écria l’abbé.

— Pardienne !… je le sais bien. Allez chercher M. d’Escorval… Il n’y a ici que ma femme et mes trois garçons, personne ne le trahira !…

Une demi-heure après, le baron était couché dans un petit grenier où déjà on avait installé Jean Lacheneur.

De la fenêtre, l’abbé Midon et Mme d’Escorval purent voir s’éloigner rapidement le cortège destiné à donner le change aux espions.

Le caporal Bavois, la tête entortillée de linges ensanglantés, avait remplacé le baron sur le brancard.

C’est aux époques troublées de l’histoire qu’il faut chercher l’homme. Alors l’hypocrisie fait trêve, et il apparaît tel qu’il est, avec ses bassesses et ses grandeurs.

Certes, de grandes lâchetés furent commises aux premiers jours de la seconde Restauration, mais aussi que de dévouements sublimes !

Ces officiers à demi-solde qui entourèrent Mme d’Escorval et Maurice, qui prêtèrent ensuite leur concours à l’abbé Midon, ne connaissaient le baron que de nom et de réputation.

Il leur suffit de savoir qu’il avait été ami de « l’autre, » de celui qui avait été leur idole, pour se donner entièrement, sans hésitation comme sans forfanterie.

Ils triomphèrent, quand ils virent M. d’Escorval couché dans le grenier du père Poignet, en sûreté relativement.