Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/347

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il était consterné de la mort de ce « beau gars, le plus solide du pays. »

Les officiers qui avaient laissé le brancard dehors, jugèrent alors que cet homme était bien celui qu’ils souhaitaient, et qu’ils pouvaient lui confier une partie de leur secret.

— Nous portons, lui dirent-ils, un de nos amis blessé… Pouvez-vous nous faire franchir la frontière cette nuit même ?…

L’aubergiste répondit qu’il le ferait volontiers, qu’il se chargeait même d’éviter tous les postes ; mais qu’il ne fallait pas songer à s’engager dans la montagne avant le lever de la lune.

A minuit les fugitifs se mirent en route : au jour ils foulaient le territoire du Piémont.

Depuis assez longtemps déjà ils avaient congédié leur guide. Ils brisèrent le brancard, et poignée par poignée ils jetèrent au vent la laine du matelas.

— Notre tâche est remplie, monsieur, dirent alors les officiers à Maurice… Nous allons rentrer en France… Dieu nous protège !… Adieu !…

C’est les yeux pleins de larmes que Maurice regarda s’éloigner ces braves gens qui, sans doute, venaient de sauver la vie à son père. Maintenant il était le seul protecteur de Marie-Anne, qui, pâle, anéantie, brisée de fatigue et d’émotion, tremblait à son bras…

Non, cependant… Près de lui se tenait encore le caporal Bavois.

— Et vous, mon ami, lui demanda-t-il d’un ton triste, qu’allez-vous faire ?…

— Vous suivre, donc !… répondit le vieux soldat. J’ai droit au feu et à la chandelle chez vous, c’est convenu avec votre père !… Ainsi, pas accéléré, la jeune demoiselle n’a pas l’air bien du tout, et je vois là-bas le clocher de l’étape.