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XXXVI


Femme par la grâce et par la beauté, femme par le dévouement et la tendresse, Marie-Anne savait trouver en elle-même une vaillance virile. Son énergie et son sang-froid, en ces jours désolés, furent l’admiration et l’étonnement de tous ceux qui l’approchèrent.

Mais les forces humaines sont bornées… Toujours, après des efforts exorbitants, un moment arrive où la chair défaillante trahit la plus ferme volonté.

Quand Marie-Anne voulut se remettre en route, elle sentit qu’elle était à bout : ses pieds gonflés ne la soutenaient plus, ses jambes se dérobaient sous elle, la tête lui tournait, des nausées soulevaient son estomac, et un froid glacial, intense, lui montait jusqu’au cœur.

Maurice et le vieux soldat durent la soutenir, la porter presque.

Heureusement il n’était pas fort éloigné ce village dont les fugitifs apercevaient le clocher à travers la brume matinale.

Déjà ces infortunés distinguaient les premières maisons quand le caporal s’arrêta brusquement en jurant.

— Milliard de tonnerres !… s’écria-t-il, et mon uniforme !… Entrer avec ce fourniment dans ce méchant village, ce serait se jeter dans la gueule du loup !… Le temps de nous asseoir et nous serions ramassés par les gendarmes piémontais… Faut attendre !…

Il réfléchit, tortillant furieusement sa moustache, puis d’un ton qui eût fait frémir et fuir un passant :

— A la guerre comme à la guerre !… fit-il. Faut acheter un équipement à « la foire d’empoigne ! » Le premier pékin qui passe…