Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/350

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acheter des mulets, répondit Maurice en frappant sur sa ceinture.

Au son de l’or, le gros homme souleva son bonnet de laine. L’élève des mulets était la richesse de la contrée, le bourgeois était bien jeune, mais il avait le gousset garni : cela ne suffisait-il pas ?

— Vous m’excuserez, reprit l’hôte d’un tout autre ton ; c’est que, voyez-vous, nous sommes très-surveillés ; il y a du tapage, à ce qu’il parait, vers Montaignac…

L’imminence du péril et le sentiment de la responsabilité donnaient à Maurice un aplomb qu’il ne se connaissait pas. C’est de l’air le plus dégagé qu’il débita une histoire passablement plausible, pour expliquer son arrivée matinale, à pied, avec une jeune femme malade.

Il s’applaudissait de son adresse, mais le vieux caporal était moins satisfait.

— Nous sommes trop près de la frontière pour bivaquer ici, grogna-t-il. Dès que la jeune dame sera sur pieds, faudra graisser nos escarpins.

Il croyait et Maurice espérait comme lui que vingt-quatre heures de repos absolu rétabliraient Marie-Anne.

Ils se trompaient, car elle avait été atteinte aux sources même de la vie.

À vrai dire, elle ne semblait pas souffrir, mais elle demeurait immobile et comme engourdie dans une torpeur glacée, dont rien n’était capable de la tirer. On lui parlait, elle ne répondait pas. Entendait-elle, comprenait-elle ? c’était au moins douteux.

Par un rare bonheur, la mère de l’hôtelier se trouvait être une vieille brave femme, qui ne quittait pas le chevet de Marie-Anne… de Mme Dubois, comme on disait à l’hôtellerie du Repos des Voyageurs.

— Rassurez-vous, disait-elle à Maurice, qu’elle voyait dévoré d’inquiétude, je connais des herbes, cueillies dans la montagne, au clair de lune… vous verrez…

Connaissait-elle des herbes, en effet, la nature violentée reprit-elle seule son équilibre, toujours est-il que