Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/351

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans la soirée du troisième jour, on entendit Marie-Anne murmurer quelques paroles.

— Pauvre jeune fille !… disait-elle, pauvre malheureuse !…

C’était d’elle-même qu’elle parlait.

Par un phénomène fréquent, après les crises où a sombré l’intelligence, elle doutait de soi, ou pour mieux dire, elle se percevait double.

Il lui semblait que c’était une autre qui avait été victime de tous les malheurs dont le souvenir, peu à peu, lui revenait, trouble et confus comme les réminiscences d’un rêve pénible, au matin…

Toutes les scènes douloureuses et sanglantes qui avaient empli les derniers mois de sa vie, se déroulaient devant elle, comme les actes divers d’un drame sur un théâtre.

Que d’événements, depuis ce dimanche d’août, où, sortant de l’église avec son père, elle avait appris l’arrivée du duc de Sairmeuse.

Et tout cela avait tenu dans huit mois !…

Quelle différence entre ce temps où elle vivait heureuse, honorée et enviée, dans ce beau château de Sairmeuse dont elle se croyait la maîtresse, et l’heure présente, où elle gisait fugitive et abandonnée, dans une misérable chambre d’auberge, soignée par une vieille femme qu’elle ne connaissait pas, sans autre protection que celle d’un vieux soldat qui avait déserté, et celle de son amant proscrit… Car elle avait un amant !…

De ce grand naufrage de ses chères ambitions et de toutes ses espérances, de sa fortune, de son bonheur, et de son avenir, elle n’avait pas même sauvé son honneur de jeune fille !…

Mais était-elle responsable toute seule ?

Qui donc lui avait imposé le rôle odieux qu’elle avait joué entre Maurice, Martial et Chanlouineau ?

À ce dernier nom traversant sa pensée, toute la scène du cachot, soudainement, lui apparut comme aux lueurs d’un éclair.