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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/354

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chette trois cent vingt-sept louis d’or et cent quarante écus de six livres…

« Si vous refusiez cette donation, c’est que vous voudriez me désespérer jusque dans la terre… Acceptez, sinon pour vous, du moins pour… je n’ose pas écrire cela, mais vous ne me comprenez que trop.

« Si Maurice n’est pas tué, et je tâcherai d’être toujours entre les balles et lui, il vous épousera… Alors, il vous faudra peut-être son consentement pour accepter ma donation. J’espère qu’il ne le refusera pas. On n’est pas jaloux de ceux qui sont morts !

« Il sait bien d’ailleurs que jamais vous n’avez eu un regard pour le pauvre paysan qui vous a tant aimée…

« Ne vous offensez pas de tout ce que je vous marque ; je suis comme si j’étais à l’agonie, n’est-ce pas, et je n’en réchapperai pas, bien sûr…

« Allons… adieu, Marie-Anne.

« CHANLOUINEAU. »

Maurice, lui aussi, relut à deux reprises avant de la rendre, cette lettre où palpitait à chaque mot une passion sublime.

Il se recueillit un moment, et d’une voix étouffée :

— Vous ne pouvez refuser, prononça-t-il, ce serait mal !

Son émotion était telle, que se sentant impuissant à la dissimuler, il sortit.

Il était comme foudroyé par la grandeur d’âme de ce paysan qui, après lui avoir sauvé la vie à la Croix-d’Arcy, avait arraché le baron d’Escorval aux exécuteurs, qui mourait pour n’avoir pu être aimé, qui jamais n’avait laissé échapper une plainte ni un reproche, et dont la protection s’étendait par delà le tombeau sur la femme qu’il avait adorée.

Se comparant à ce héros obscur, Maurice se trouvait petit, médiocre, indigne…

Qu’adviendrait-il, grand Dieu ! si cette comparaison se présentait jamais à l’esprit de Marie-Anne !… Comment lutter, comment écarter ce souvenir écrasant, on ne se mesure pas contre une ombre…