Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/356

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Il resta près d’un quart d’heure enfermé avec Marie-Anne, et quand il sortit, il attira Maurice à part.

— Cette jeune dame est enceinte, prononça-t-il.

Là était le secret des hésitations de Maurice. Il ne répondit pas, et alors le médecin ajouta :

— Cette jeune dame est-elle véritablement votre femme, monsieur… Dubois ?

Il insistait d’une façon si étrange sur ce nom : Dubois ; ses yeux avaient un éclat si insoutenable, que Maurice se sentit rougir jusqu’au blanc des yeux.

— Je ne m’explique pas votre question, monsieur !… dit-il avec un accent irrité.

Le médecin haussa légèrement les épaules.

— Je vous ferai des excuses, si vous le voulez, reprit-il… seulement, je vous ferai remarquer que vous êtes bien jeune pour un mari ; que vous avez les mains bien douces pour un maquignon en tournée !… Quand on parle à la jeune dame de son mari, elle devient cramoisie !… L’homme qui vous accompagne a de terribles moustaches pour un fermier !… Après cela, vous me direz qu’il y a eu des troubles, de l’autre côté de la frontière, à Montaignac.

De pourpre qu’il était, Maurice était devenu blême.

Il se sentait découvert ; il se voyait aux mains de ce médecin.

Que faire ?… Nier ! À quoi bon !

Il songea que s’abandonner est parfois la suprême prudence, que l’extrême confiance force souvent la discrétion… et d’une voix émue :

— Vous ne vous êtes pas trompé, monsieur, dit-il… L’homme qui m’accompagne et moi, sommes des réfugiés, sans doute condamnés à mort en France à cette heure.

Et sans laisser au docteur le temps de répondre, il lui dit quels terribles événements l’avaient amené à Saliente, et l’histoire navrante de ses amours. Il n’omit rien. Il ne cacha ni son nom, ni celui de Marie-Anne.

Le médecin, quand il eut terminé, lui serra la main…