Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/388

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dupe !… M. de Sairmeuse l’était si peu que sa seconde pensée fut celle-ci :

— Où veut-il en venir, avec cette comédie ? Il dit qu’il nous pardonne… c’est donc qu’il nous réserve quelque coup de jarnac !…

Cette conviction l’emplit d’inquiétude. En vérité il ne se sentait pas de force à lutter de perfidie contre le marquis de Courtomieu.

— Mais Martial lui damera le pion… s’écria-t-il… Oui, il faut voir Martial !…

Si grande était son anxiété et telle son impatience, que de sa main il aida à atteler la voiture qu’il avait commandée, et que, prenant le fouet, il voulut conduire lui-même.

Tout en poussant furieusement ses chevaux il s’efforçait de réfléchir, mais les idées les plus contradictoires tourbillonnaient dans sa tête, il n’y voyait plus clair, et la rapidité de la course fouettant son sang ravivait sa colère.

Il entra comme un ouragan dans la chambre de Martial, à Montaignac.

— J’imagine que vous êtes devenu fou, marquis ! s’écria-t-il dès le seuil. C’est, jarnibieu ! la seule excuse valable que vous puissiez présenter…

Mais Martial, qui attendait la visite de son père, avait eu le temps de se préparer.

— Jamais, au contraire, je ne me suis senti si sain d’esprit, répondit-il… Daignez me permettre une question : Est-ce vous qui avez envoyé des soldats au rendez-vous que Maurice d’Escorval m’avait loyalement assigné ?…

— Marquis !…

— Bien !… c’est donc encore une infamie du marquis de Courtomieu ?…

Le duc ne répondit pas. En dépit de ses travers, de ses défauts et de ses vices, cet homme orgueilleux avait conservé les qualités essentielles de la vieille noblesse