Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/390

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


XLI


Il faut avoir vécu au fond des campagnes pour savoir au juste avec quelle prestigieuse rapidité une nouvelle s’y propage et vole de bouche en bouche. Parfois, c’est à confondre l’esprit.

Ainsi, le soir même des scènes du château de Sairmeuse, la rumeur en arrivait aux infortunés cachés à la ferme du père Poignot.

Il n’y avait pas trois heures que Maurice, Jean Lacheneur et le caporal Bavois s’étaient éloignés en promettant de repasser la frontière cette nuit même.

Après mûres réflexions, l’abbé Midon avait décidé qu’on ne dirait rien à M. d’Escorval de la brusque apparition de son fils et qu’on lui dissimulerait même la présence de Marie-Anne.

Son état était si alarmant encore, que la moindre émotion pouvait décider quelque complication mortelle.

Vers les dix heures, le baron s’étant assoupi, l’abbé Midon et Mme d’Escorval étaient descendus dans une salle basse de la ferme, pour causer librement avec Marie-Anne, quand l’aîné des fils Poignot parut la figure bouleversée.

Ce grave gars était sorti après souper avec plusieurs de ses camarades, pour aller admirer de loin les splendeurs des fêtes de Sairmeuse, et il revenait en toute hâte apprendre aux hôtes de son père les étranges événements de la soirée.

— C’est inconcevable !… murmurait l’abbé Midon abasourdi.

Pas si inconcevable, le prêtre l’eût bien compris, si l’idée lui fût venue d’observer Marie-Anne.