Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/392

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marquis était rentré au château de Courtomieu avec sa fille, et le duc était parti pour Montaignac…

Cette dernière nouvelle devait rassurer l’abbé Midou ; mais ses transes avaient été trop poignantes pour échapper au baron d’Escorval.

— Vous avez quelque chose, curé, lui dit-il.

— Rien, monsieur le baron, rien absolument.

— Aucun péril nouveau ne nous menace ?

— Aucun, je vous jure.

L’assurance du prêtre et ses protestations ne semblèrent pas convaincre M. d’Escorval.

— Oh !… ne jurez pas, curé… Avant-hier soir, tenez, quand vous êtes remonté ici, à mon réveil, vous étiez plus pâle que la mort, et ma femme, certainement, venait de pleurer… pourquoi ?…

D’ordinaire, quand l’abbé Midon ne voulait pas répondre à certaines questions de son malade, il lui imposait silence, en lui disant, ce qui était vrai d’ailleurs, que s’agiter et parler, c’était retarder sa guérison…

Habituellement, le baron obéissait, cette fois il résista.

— Il dépend de vous, curé, poursuivit-il, de me rendre ma tranquillité… Avouez-le, vous tremblez qu’on ne découvre ma retraite… Cette crainte me torture aussi… Eh bien !… jurez-moi que vous ne me laisserez pas reprendre vivant, et vous me rendez la paix…

— Je ne puis jurer cela ! murmura l’abbé en pâlissant.

Le regard de M. d’Escorval se voila :

— Et pourquoi donc ? insista-t-il… Si j’étais repris, qu’arriverait-il ? On me soignerait, et dès que je pourrais me tenir debout, on me fusillerait… Serait-ce donc un crime que de m’épargner l’horreur du supplice… Voyons, curé, vous êtes mon meilleur ami, n’est-ce pas ? jurez-moi de me rendre ce suprême service… Voulez-vous que je vous maudisse de m’avoir sauvé la vie…

L’abbé ne répondit pas, mais son œil, volontairement ou non, s’arrêta avec une expression étrange sur la boîte de médicaments posée sur la table.