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XLII


Pour quitter Sairmeuse sans violences, noblement et froidement, il avait fallu à Mme Blanche des efforts surhumains et toute l’énergie de sa volonté.

La plus épouvantable colère grondait en elle, pendant que, drapée de dignité mélancolique, elle murmurait des paroles de mansuétude et de pardon.

Ah ! si elle n’eût écouté que les inspirations de ses ressentiments !…

Mais son indomptable vanité l’enflammait de l’héroïsme du gladiateur mourant dans l’arène, le sourire aux lèvres…

Tombant, elle prétendait tomber avec grâce.

— Nul ne me verra pleurer, personne ne m’entendra me plaindre, disait-elle à son père, plus abattu qu’elle, sachez m’imiter.

Et dans le fait, elle fut stoïque, à son retour au château de Courtomieu.

Son visage, pâli, resta de marbre sous les regards des domestiques ébahis, qui semblaient attendre l’explication de cette catastrophe inouïe.

— On m’appellera « Mademoiselle » comme par le passé, dit-elle d’un ton impérieux. Quiconque oublierait cet ordre serait renvoyé.

Une femme de chambre l’oublia le soir même et prononça le mot défendu : « Madame… » La pauvre fille fut chassée sur l’heure, sans miséricorde, malgré ses protestations et ses larmes.

Tous les gens du château étaient indignés.

— Espère-t-elle donc, disaient-ils, nous faire oublier qu’elle est mariée et que son mari l’a plantée là !…