Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/404

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Hélas ! elle eût voulu l’oublier elle-même.

Elle eût voulu anéantir jusqu’au souvenir de cette fatale journée du 17 avril, qui l’avait vue jeune fille, épouse et veuve, entre le lever et le coucher du soleil.

Veuve !… ne l’était-elle pas, par le fait ?…

Seulement ce n’était pas la mort qui lui avait ravi son mari ; c’était, pensait-elle, une autre femme, une rivale, une infâme et perfide créature, une fille perdue d’honneur, Marie-Anne enfin.

Et elle, cependant, ignominieusement abandonnée, dédaignée, repoussée, elle ne s’appartenait plus.

Elle appartenait à l’homme dont elle portait le nom comme une livrée de servitude, qui ne voulait pas d’elle, qui la fuyait…

Elle n’avait pas vingt ans et c’en était fait de sa jeunesse, de sa vie, de ses espérances, de ses rêves même.

Le monde la condamnait sans appel ni recours à vivre seule, désolée… pendant que Martial, lui, libre de par les préjugés, étalerait au grand jour ses amours adultères.

Alors elle connut l’horreur de l’isolement. Pas une âme à qui se confier en sa détresse. Pas une voix attendrie pour la plaindre !…

Elle avait deux amies préférées, autrefois ; elles étaient inséparables au Sacré-Cœur, mais sortie du couvent elle les avait éloignées par ses hauteurs, ne les trouvant ni assez nobles ni assez riches pour elle…

Elle en était réduite aux irritantes consolations de tante Médie, une brave et digne personne, certes, mais dont l’intelligence avait fléchi sous les mauvais traitements, et dont les larmes banales coulaient aussi abondantes pour la perte d’un chat que pour la mort d’un parent.

Vaillante, cependant, Mme Blanche se jura qu’elle renfermerait en son cœur le secret de ses désespoirs.

Elle se montra, comme au temps où elle était jeune fille, elle porta audacieusement les plus belles robes de