Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/406

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réelles, il présenta Lacheneur comme un fou et les paysans qui l’avaient suivi comme des niais inoffensifs.

Peut-être donna-t-il à entendre que le marquis de Courtomieu pouvait fort bien avoir provoqué ce soulèvement de Montaignac… Il avait servi Buonaparte, il tenait à montrer son zèle ; on savait des exemples…

Il déplora, quant à lui, d’avoir été trompé par ce coupable ambitieux, rejeta sur le marquis tout le sang versé et se porta fort de faire oublier ces tristes représailles…

Il résulta de ce voyage, que le jour où le rapport du marquis arriva à Paris, on lui répondit en le destituant de ses fonctions de grand prévôt.

Ce coup imprévu devait atterrer M. de Courtomieu.

Lui, si perspicace et si fin, si souple et si adroit, qui avait sauvé les apparences de son honneur de tous les naufrages, qui avait traversé les époques les plus troublées comme une anguille ses bourbes natales, qui avait su établir sa colossale fortune sur trois mariages successifs, qui avait servi d’un même visage obséquieux tous les maîtres qui avaient voulu de ses services, lui, Courtomieu, être joué ainsi !…

Car il était joué, il n’en pouvait douter, il était sacrifié, perdu…

— Ce ne peut être ce vieil imbécile de duc de Sairmeuse qui a manœuvré si vivement, et avec tant d’adresse, répétait-il… Quelqu’un l’a conseillé, mais qui ? je ne vois personne…

Qui ? Mme Blanche ne le devinait que trop.

De même que Marie-Anne, elle reconnaissait le génie de Martial.

— Ah !… je ne m’étais pas trompée, pensait-elle : celui-là est bien l’homme supérieur que je rêvais… À son âge, jouer mon père, ce politique de tant d’expérience et d’astuce !

Mais cette idée exaspérait sa douleur et attisait sa haine.

Devinant Martial, elle pénétrait ses projets.