Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/407

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Elle comprenait que s’il était sorti de son insouciance hautaine et railleuse, ce n’était pas pour la mesquine satisfaction d’abattre le marquis de Courtomieu.

— C’est pour plaire à Marie-Anne, pensait-elle avec des convulsions de rage. C’est un premier pas vers la grâce des amis de cette créature… Ah ! elle peut tout sur son esprit, et tant qu’elle vivra, j’espérerais en vain… Mais patience…

Elle patientait en effet, sachant bien que qui veut se venger sûrement doit attendre, dissimuler, préparer l’occasion mais ne pas violenter…

Comment elle se vengerait, elle l’ignorait, mais elle savait qu’elle se vengerait, et déjà elle avait jeté les yeux sur un homme qui serait, croyait-elle, l’instrument docile de ses desseins, et capable de tout pour de l’argent : Chupin.

Comment le traître qui avait livré Lacheneur pour vingt mille francs, se trouva-t-il sur le chemin de Mme Blanche ?…

Ce fut le résultat d’une de ces simples combinaisons des événements que les imbéciles admirent sous le nom de hasard.

Bourrelé de remords, honni, conspué, maudit, pourchassé à coups de pierres quand il s’aventurait par les rues, suant de peur quand il songeait aux terribles menaces de Balstain, l’aubergiste piémontais, Chupin avait quitté Montaignac et était venu demander asile au château de Sairmeuse.

Il pensait, dans la naïveté de son ignominie, que le grand seigneur qui l’avait employé, qui l’avait convié au crime, qui avait profité de sa trahison, lui devait, outre la récompense promise, aide et protection.

Les domestiques le reçurent comme une bête galeuse dont on redoute la contagion. Il n’y eut plus de place pour lui aux tables des cuisines et les palefreniers refusaient de le laisser coucher dans les écuries. On lui jetait la pâtée comme à un chien et il dormait au hasard dans les greniers à foin.