Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/408

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il supportait tout sans se plaindre, courbant le dos sous les injures, s’estimant encore heureux de pouvoir acheter à ce prix une certaine sécurité.

Mais le duc de Sairmeuse, revenant de Paris avec une politique d’oubli et de conciliation en poche, ne pouvait tolérer la présence d’un tel homme, si compromettant et chargé de l’exécration de tout le pays.

Il ordonna de congédier Chupin.

Le vieux braconnier résista, croyant deviner un complot de ses ennemis les domestiques.

Il déclara d’un ton farouche qu’il ne sortirait de Sairmeuse que de force ou sur un ordre formel, de la bouche même du duc.

Cette résistance obstinée, rapportée à M. de Sairmeuse, le fit presque hésiter.

Il tenait peu à se faire un implacable ennemi d’un homme qui passait pour le plus rancunier et le plus dangereux qu’il y eût à dix lieues à la ronde.

La nécessité du moment et les observations de Martial le décidèrent.

Ayant mandé son ancien espion, il lui déclara qu’il ne voulait plus, sous aucun prétexte, le revoir à Sairmeuse, adoucissant toutefois la brutalité de l’expulsion par l’offre d’une petite somme.

Mais Chupin, d’un air sombre, refusa l’argent. Il alla prendre ses quelques hardes et s’éloigna en montrant le poing au château, jurant que si jamais un Sairmeuse se trouvait au bout de son fusil, à la brune, il lui ferait passer le goût du pain.

Il est sûr qu’il tint ce propos, plusieurs domestiques l’entendirent.

Ainsi expulsé, le vieux braconnier se retira dans sa masure, où habitaient toujours sa femme et ses deux fils.

Il n’en sortait guère, et jamais que pour satisfaire son ancienne passion pour la chasse, qui survivait à tout.

Seulement, il ne perdait plus son temps à s’entourer de précautions comme autrefois, pour tirer un lièvre ou quelques perdreaux.