Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/410

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De ces imprécations, une bonne part retombait sur le marquis de Courtomieu, mais Mme Blanche ne le remarquait seulement pas.

Elle se recueillait, comprenant d’instinct une des lois immuables qui régissent les individus et que ne sauraient changer les plus habiles transactions sociales.

Le crime, fatalement attire le mépris, qui provoque la révolte et un nouveau crime.

— Voilà bien l’homme qu’il te faudrait… murmurait à l’oreille de Mme Blanche la voix de la haine…

Certes !… Mais comment arriver jusqu’à lui ? comment entrer en pourparlers ?

Aller chez Chupin, c’était s’exposer à être aperçue entrant dans sa maison ou en sortant. Mme Blanche était trop prudente pour avoir seulement l’idée de courir un tel risque.

Mais elle songea que du moment où le vieux braconnier chassait quelquefois dans les bois de Courtomieu, il ne devait pas être impossible de l’y rencontrer… par hasard.

— Ce sera, se dit-elle déjà toute décidée, l’affaire d’un peu de persévérance et de quelques promenades adroitement dirigées.

Ce fut l’affaire de deux grandes semaines et de tant de courses, que tante Médie, l’inévitable chaperon de la jeune femme, en était sur les dents.

— Encore une nouvelle lubie !… gémissait la parente pauvre, rendue de fatigue, ma pauvre nièce est décidément folle.

Pas si folle, car par une belle après-midi du mois de mai, dans les derniers jours, Mme Blanche aperçut enfin celui qu’elle cherchait.

C’était dans la partie réservée du bois de Courtomieu, tout près des étangs.

Chupin s’avançait au milieu d’une large allée de chasse, le doigt sur la détente de son fusil.

Il s’avançait à la manière des bêtes traquées, d’un pas muet et inquiet, tout ramassé sur lui-même comme