Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/412

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Il fallut à Mme Blanche un effort pour dominer un mouvement d’effroi et de dégoût ; ce qui n’empêche que c’est du ton le plus résolu qu’elle dit :

— Eh bien ! oui, j’ai un service à vous demander…

— Ah ! ah !…

— Un très-léger service, du reste, qui vous coûtera peu de peine et qui vous sera bien payé.

Elle disait cela d’un petit air détaché, comme si véritablement il ne se fût agi que de la moindre des choses. Mais si bien que fût joué son insouciance le vieux maraudeur n’en parut pas dupe.

— On ne demande pas des services si légers que cela à un homme comme moi, fit-il brutalement. Depuis que j’ai servi la bonne cause d’après mes moyens, selon qu’on le demandait sur les affiches, et au péril de ma vie, tout un chacun se croit le droit de venir, argent en main, me marchander des infamies… C’est vrai que les autres m’ont payé ; mais tout l’or qu’ils m’ont donné, je voudrais pouvoir le faire fondre et le leur couler brûlant dans le ventre !… Allez !… je sais ce qu’il en coûte aux petits d’écouter les paroles des gros ! Passez votre chemin, et si vous avez des abominations en tête, faites-les vous-même !…

Il remit son fusil sur l’épaule, et il allait s’éloigner, quand une inspiration soudaine, véritable éclair de la haine, illumina l’esprit de Mme Blanche.

— C’est parce que je sais votre histoire, prononça-t-elle froidement, que je vous ai arrêté. J’imaginais que vous me serviriez volontiers, moi qui hais les Sairmeuse.

Cet aveu cloua sur place le vieux braconnier.

— Je crois bien, en effet, dit-il, que vous haïssez les Sairmeuse en ce moment… Ils vous ont plantée là, sans gêne, tout comme moi ; seulement…

— Eh bien ?

— Avant un mois, vous serez réconciliés… Et qui payera les frais de la guerre et de la paix ? Toujours Chupin, le vieil imbécile…

— Jamais.