Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/422

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ça ! murmuraient quelques filles laides qui ne trouvaient pas de mari.

Jusqu’alors on n’était pas parfaitement sûr que Marie-Anne eût été la « bonne amie » de Chanlouineau. Même après la chute de M. Lacheneur on apercevait entre eux une distance difficile à franchir. La donation leva tous les doutes. Comment expliquer autrement cette magnificence posthume ?

Voilà cependant quelles grandes nouvelles Chupin apportait à Mme Blanche et pourquoi, lui, toujours sombre, il paraissait si joyeux.

Elle l’écoutait, frémissante de colère, les poings si convulsivement serrés que les ongles lui entraient dans les chairs.

— Quelle audace !… répétait-elle d’une voix étranglée, quelle impudence !…

Le vieux maraudeur semblait de cet avis.

— Le fait est, grommela-t-il d’un air de dégoût, qu’elle eût pu attendre que le lit de Chanlouineau fût refroidi, avant de s’en emparer.

Il branla la tête, et comme en à-parte :

— Que chacun de ses amants lui en donne autant, et elle sera plus riche qu’une reine, elle aura de quoi acheter Sairmeuse et Courtomieu.

Si Chupin avait eu l’intention de tisonner la rage de Mme Blanche, il dut être satisfait.

— Et c’est une telle femme qui m’a enlevé le cœur de Martial !… s’écria-t-elle. C’est pour cette misérable qu’il m’abandonne !… Quels philtres ces créatures font-elles donc boire à leurs dupes !…

L’indignité prétendue de cette infortunée, en qui sa jalousie lui montrait une rivale, transportait Mme Blanche à ce point qu’elle oubliait la présence de Chupin ; elle cessait de se contraindre, elle livrait sans restrictions le secret de ses souffrances.

— Au moins, reprit-elle, êtes-vous bien sûr de ce que vous me dites, père Chupin ?

— Comme je suis sûr que vous êtes là.