Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/433

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— Jean, murmura-t-elle, souviens-toi de notre père.

Le fils de Lacheneur devint livide, ses poings se crispèrent, mais il eut la force de refouler sa colère près d’éclater.

Il s’avança vers sa sœur, et froidement, d’un ton posé, qui ajoutait à l’effroyable violence de ses menaces :

— C’est parce que je me souviens du père, dit-il, que justice sera faite. Ah ! les coquins n’auraient pas tant d’audace, si tous les fils avaient ma résolution. Un scélérat hésiterait à s’attaquer à un homme de bien, s’il avait à se dire : « Je puis frapper cet honnête homme, mais j’aurai ensuite à compter avec ses enfants. Ils s’acharneront après moi et après les miens, et ils nous poursuivront sans paix ni trêve, sans cesse, partout, impitoyablement. Leur haine, toujours armée et éveillée, nous escortera, nous entourera, ce sera une guerre de sauvages, implacable, sans merci. Je ne sortirai plus sans craindre un coup de fusil, je ne porterai plus une bouchée de pain à ma bouche sans redouter le poison… Et jusqu’à ce que nous ayons succombé tous, moi et les miens, nous aurons, rôdant autour de notre maison, guettant pour s’y glisser, une porte entrebâillée, la mort, le déshonneur, la ruine, l’infamie, la misère !… »

Il s’interrompit, riant d’un rire nerveux, et plus lentement encore :

— Voilà, poursuivit-il, ce que les Sairmeuse et les Courtomieu ont à attendre de moi.

Il n’y avait pas à se méprendre sur la portée des menaces de Jean Lacheneur.

Ce n’était pas là les vaines imprécations de la colère. Son air grave, son ton posé, son geste automatique, trahissaient une de ces rages froides qui durent la vie d’un homme.

Lui-même prit soin de le faire bien entendre, car il ajouta entre ses dents :

— Sans doute, les Sairmeuse et les Courtomieu sont bien haut et moi je suis bien bas ; mais quand le ver