Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/434

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blanc, qui est gros comme mon pouce, se met aux racines d’un chêne l’arbre immense meurt…

Marie-Anne ne comprenait que trop l’inanité de ses larmes et de ses prières…

Et cependant elle ne pouvait pas, elle ne devait pas laisser son frère s’éloigner ainsi.

Elle se laissa glisser à genoux, et les mains jointes, d’une voix suppliante :

— Jean, dit-elle, je t’en conjure, renonce à tes projets impies… Au nom de notre mère, reviens à toi ; ce sont des crimes que tu médites !…

Il l’écrasa d’un regard plein de mépris pour ce qu’il jugeait une faiblesse indigne ; mais, presqu’aussitôt, haussant les épaules :

— Laissons cela, fit-il, j’ai eu tort de te confier mes espérances… Ne me fais pas regretter d’être venu !…

Alors Marie-Anne essaya autre chose, elle se redressa, contraignant ses lèvres à sourire, et, comme si rien ne se fût passé, elle pria Jean de lui donner au moins la soirée et de partager son modeste souper.

— Reste, lui disait-elle, qu’est-ce que cela peut te faire ?… rien, n’est-ce pas ? Tu me rendras si heureuse ! Puisque c’est la dernière fois que nous nous voyons d’ici des années, accorde-moi quelques heures, tu seras libre après. Il y a si longtemps que nous ne nous sommes vus, j’ai tant souffert, j’ai tant de choses à te dire ! Jean, mon frère aîné, ne m’aimes-tu donc plus !…

Il eût fallu être de bronze pour rester insensible à de telles prières ; le cœur de Jean Lacheneur se gonflait d’attendrissement ; ses traits contractés se détendaient, une larme tremblait entre ses cils…

Cette larme, Marie-Anne la vit, elle crut qu’elle l’emportait, et battant des mains :

— Ah !… tu restes, s’écria-t-elle, tu restes, c’est dit !…

Non. Jean se roidit, en un effort suprême, contre l’émotion qui le pénétrait, et d’une voix rauque :

— Impossible, répéta-t-il, impossible.