Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Puis, comme sa sœur s’attachait à lui, comme elle le retenait par ses vêtements, il l’attira entre ses bras et la serrant contre sa poitrine :

— Pauvre sœur, prononça-t-il, pauvre Marie-Anne, tu ne sauras jamais tout ce qu’il m’en coûte de te refuser, de me séparer de toi… Mais il le faut. Déjà, en venant ici, j’ai commis une imprudence. C’est que tu ne peux savoir à quels périls tu serais exposée si on soupçonnait une entente entre nous. Je veux le calme et le bonheur, pour Maurice et pour toi, vous mêler à mes luttes enragées serait un crime. Quand vous serez mariés, pensez à moi quelquefois, mais ne cherchez pas à me revoir, ni même à savoir ce que je deviens. Un homme comme moi rompt avec la famille, il combat, triomphe ou périt seul.

Il embrassait Marie-Anne avec une sorte d’égarement, et comme elle se débattait, comme elle ne le lâchait toujours pas, il la souleva, la porta jusqu’à une chaise et brusquement s’arracha à ses étreintes.

— Adieu !… cria-t-il, quand tu me reverras, le père sera vengé.

Elle se dressa pour se jeter sur lui, pour le retenir encore ; trop tard.

Il avait ouvert la porte et s’était enfui.

— C’est fini, murmura l’infortunée, mon frère est perdu. Rien ne l’arrêtera plus maintenant.

Une crainte vague et cependant terrifiante, inexplicable et qui avait l’horreur de la réalité, étreignait son cœur jusqu’au spasme.

Elle se sentait comme entraînée dans un tourbillon de passions, de haines, de vengeances et de crimes, et une voix lui disait qu’elle y serait misérablement brisée.

Le cercle fatal du malheur qui l’entourait allait se rétrécissant autour d’elle de jour en jour.

Mais d’autres soucis devaient la distraire de ces pressentiments funèbres.

Un soir, pendant qu’elle dressait sa petite table dans la première pièce de la Borderie, elle entendit à la porte,