Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/437

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« S’il se décide pour un nouveau jugement, j’aurai pour lui un sauf-conduit de Sa Majesté.

« J’attends une réponse pour agir.

« MARTIAL DE SAIRMEUSE. »

Marie-Anne eut comme un éblouissement.

C’était la seconde fois que Martial l’étonnait par la grandeur de sa passion.

Voilà donc de quoi étaient capables deux hommes qui l’avaient aimée et qu’elle avait repoussés !

L’un, Chanlouineau, après être mort pour elle, la protégeait encore…

L’autre, le marquis de Sairmeuse, lui sacrifiait les convictions de sa vie et les préjugés de sa race, et jouait, pour elle, avec une magnifique imprudence, la fortune politique de sa maison…

Et cependant, celui qu’elle avait choisi, l’élu de son âme, le père de son enfant, Maurice d’Escorval, depuis cinq mois qu’il l’avait quittée, n’avait pas donné signe de vie.

Mais toutes ces pensées confuses s’effacèrent devant un doute terrible qui lui vint :

— Si la lettre de Martial cachait un piège !

Le soupçon ne se discute ni se s’explique : il est ou il n’est pas.

Tout à coup, brusquement, sans raison, Marie-Anne passa de la plus vive admiration à la plus extrême défiance.

— Eh ! s’écria-t-elle, le marquis de Sairmeuse serait un héros, s’il était sincère !…

Or, elle ne voulait pas qu’il fût un héros.

Déjà elle en était à s’en vouloir comme d’une vilaine action, d’avoir pu, d’avoir osé comparer Maurice d’Escorval et le marquis de Sairmeuse.

Le résultat de ses soupçons fut qu’elle hésita cinq jours à se rendre à l’endroit où d’ordinaire l’attendait le père Poignot.