Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/439

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— Quoi !… dit-elle, M. d’Escorval se livrera à ses ennemis, il se constituera prisonnier !…

— Le marquis de Sairmeuse ne promet-il pas un sauf conduit du roi ?

— Oui.

— Eh bien !…

Elle ne trouva pas d’objection, et d’un ton soumis :

— Puisqu’il en est ainsi, monsieur le curé, dit-elle, je vous demanderai le brouillon de la lettre que je dois écrire à M. Martial.

Le prêtre fut un moment sans répondre. Il était évident qu’il reculait devant ce qu’il avait à dire. Enfin, se décidant :

— Il ne faut pas écrire, fit-il.

— Cependant…

— Ce n’est pas que je me défie, je le répète, mais une lettre est indiscrète, elle n’arrive pas toujours à son adresse, ou elle s’égare… Il faut que vous voyez M. de Sairmeuse…

Marie-Anne recula, plus épouvantée que si un spectre eût jailli de terre sous ses pieds.

— Jamais ! monsieur le curé, s’écria-t-elle, jamais !…

L’abbé Midon ne parut pas s’étonner.

— Je comprends votre résistance, mon enfant, prononça-t-il doucement ; votre réputation n’a que trop souffert des assiduités du marquis de Sairmeuse…

— Oh ! monsieur, je vous en prie…

— Il n’y a pas à hésiter, mon enfant, le devoir parle… Vous devez ce sacrifice au salut d’un innocent perdu par votre père…

Et aussitôt, sûr de l’empire de ce grand mot, devoir, sur cette infortunée, il lui expliqua tout ce qu’elle aurait à dire, et il ne la quitta qu’après qu’elle lui eût promis d’obéir…

Elle avait promis, l’idée ne lui vint pas de manquer à sa promesse, et elle fit prier Martial de se trouver au carrefour de la Croix-d’Arcy… Mais jamais sacrifice ne lui avait été si douloureux.