Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/440

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Cependant, la cause de sa répugnance n’était pas celle que croyait l’abbé Midon. Sa réputation !… hélas ! elle la savait à jamais perdue. Non, ce n’était pas cela !…

Quinze jours plus tôt, elle ne se fût pas seulement inquiétée de cette entrevue. Alors elle ne haïssait plus Martial, il est vrai, mais il lui était absolument indifférent, tandis que maintenant…

Peut-être, en choisissant pour le rencontrer le carrefour de la Croix-d’Arcy, peut-être espérait-elle que cet endroit, qui lui rappelait tant de cruels souvenirs, lui rendrait quelque chose de ses sentiments d’autrefois…

Tout en suivant le chemin qui conduisait au rendez-vous, elle se disait que sans doute Martial la blesserait par ce ton de galanterie légère qui lui était habituel, et elle s’en réjouissait…

En cela elle se trompait.

Martial était extrêmement ému, elle le remarqua, si troublée qu’elle fût elle-même, mais il ne lui adressa pas une parole qui n’eût trait à l’affaire du baron.

Seulement, quand elle eut terminé, lorsqu’il eut souscrit à toutes les conditions :

— Nous sommes amis, n’est-ce pas ? demanda-t-il tristement.

D’une voix expirante elle répondit :

— Oui.

Et ce fut tout. Il remonta sur son cheval que tenait un domestique et reprit à fond de train la route de Montaignac.

Clouée sur place, haletante, la joue en feu, remuée jusqu’au plus profond d’elle-même, Marie-Anne le suivit un moment des yeux, et alors une clarté fulgurante se fit dans son âme.

— Mon Dieu ! s’écria-t-elle, quelle indigne créature suis-je donc !… Est-ce que je n’aime pas, est-ce que je n’aurais jamais aimé Maurice, mon mari, le père de mon enfant ?

Sa voix tremblait encore d’une affreuse émotion