Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/472

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rêta, devenant plus blême encore. Il comprenait qu’il n’était plus d’espérance.

— Allons !… reprit-il avec un accent d’affreux découragement, la destinée ne s’est pas lassée… Je veillais sur Marie-Anne, cependant, dans l’ombre, de loin… Et ce soir, je venais lui dire : « Défie-toi, sœur, prends garde !… »

— Quoi ! vous saviez…

— Je savais qu’elle était en grand danger, oui, monsieur l’abbé… Il y a de cela une heure, je soupais, dans un cabaret de Sairmeuse, quand le gars à Grollet est entré. « Te voilà, Jean ? me dit-il ; je viens de voir le père Chupin en embuscade près de la maison à la Marie-Anne ; quand il m’a aperçu, le vieux gueux, il a filé. » Aussitôt, j’ai ressenti comme un coup terrible. Je suis sorti comme un fou, je suis venu ici en courant de toutes mes forces… Mais quand la fatalité est sur un homme, vous savez ! Je suis arrivé trop tard.

L’abbé Midon réfléchissait.

— Ainsi, fit-il, vous supposez que c’est Chupin…

— Je ne suppose pas, monsieur le curé, j’affirme que c’est lui, le misérable traître, qui a commis cet abominable forfait.

— Encore faudrait-il qu’il y eût eu un intérêt quelconque…

Jean eut un de ces éclats de rire stridents qui sont peut-être l’expression la plus saisissante du désespoir.

— Soyez tranquille, monsieur le curé, interrompit-il, le sang de la fille lui sera payé et plus cher, sans doute, que le sang du père. Chupin a été le vil instrument du crime, mais ce n’est pas lui qui l’a conçu. C’est plus haut qu’il faut chercher le vrai coupable, bien plus haut, dans le plus beau château du pays, au milieu d’une armée de valets, à Sairmeuse enfin !…

— Malheureux, que voulez-vous dire !…

— Ce que je dis !

Et froidement il ajouta :

— L’assassin est Martial de Sairmeuse.