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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/477

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— Vous voici prévenu, soyez prudent… et maintenant, venez.

Ils entrèrent ensemble, et c’est avec toutes les effusions de l’amitié la plus vive, que Maurice et le vieux soldat serrèrent les mains de Jean Lacheneur.

Ils ne s’étaient pas vus depuis le duel dans les landes de la Rèche, interrompu par l’arrivée des soldats, et quand ils s’étaient séparés ce jour-là, ils ne savaient pas s’ils se reverraient jamais…

— Et cependant nous voici réunis, répétait Maurice, et nous n’avons plus rien à craindre.

Jamais cet infortuné n’avait été si gai, et c’est de l’air le plus enjoué qu’il se mit à expliquer les raisons de son long silence.

— Trois jours après avoir passé la frontière, racontait-il, le caporal Bavois et moi arrivions à Turin. Franchement il était temps, nous étions épuisés de fatigue. J’avais tenu à descendre dans une assez piteuse auberge, et on nous avait donné une chambre à deux lits…

Je me rappelle que le soir, en nous couchant, le caporal me disait : « Je suis capable de dormir deux jours sans débrider. » Moi, je me promettais bien un somme de plus de douze heures… Nous comptions sans notre hôte, comme vous l’allez voir…

Il faisait à peine jour, le lendemain, quand nous sommes éveillés par un grand tumulte… Une douzaine de messieurs de mauvaise mine envahissent notre chambre, et nous commandent brutalement, en italien, de nous habiller… Nous n’étions pas les plus forts, nous obéissons. Et une heure plus tard, nous étions bel et bien en prison, enfermés dans la même cellule. Nos idées, j’en conviens, n’étaient pas couleur de rose…

Il me souvient parfaitement que le caporal ne cessait de me dire du plus beau sang-froid : « Pour obtenir notre extradition, il faut quatre jours, trois jours pour nous ramener à Montaignac, ça fait sept ; mettons qu’on me laissera là-bas vingt-quatre heures pour me reconnaître, c’est en tout huit jours que j’ai encore à vivre. »