Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/481

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la pupille dilatée par la terreur, la bouche entr’ouverte, les bras roidis dans la direction du cadavre.

— Maurice, fit doucement l’abbé, revenez à vous, du courage…

Il se retourna, et avec une navrante expression d’hébétement :

— Oui, bégaya-t-il, c’est cela… du courage !…

Il s’affaissait, il fallut le soutenir jusqu’à un fauteuil.

— Soyez homme, poursuivait le prêtre ; où donc est votre énergie ? vivre, c’est souffrir…

Il écoutait, mais il ne semblait pas comprendre.

— Vivre !… balbutia-t-il, à quoi bon, puisqu’elle est morte !…

Ses yeux secs avaient l’éclat sinistre de la démence. L’abbé eut peur.

— S’il ne pleure pas, il est perdu ! pensa-t-il.

Et d’une voix impérieuse :

— Vous n’avez pas le droit de vous abandonner ainsi… prononça-t-il, vous vous devez à votre enfant !…

L’inspiration du prêtre le servit bien.

Le souvenir qui avait donné à Marie-Anne la force de maîtriser un instant la mort, arracha Maurice à sa dangereuse torpeur. Il tressaillit, comme s’il eût été touché par une étincelle électrique, et se dressant tout d’une pièce :

— C’est vrai, dit-il, je dois vivre. Notre enfant, c’est encore elle… conduisez-moi près de lui…

— Pas en ce moment, Maurice, plus tard.

— Où est-il ?… Dites-moi où il est ?…

— Je ne puis, je ne sais pas…

Une indicible angoisse se peignit sur la figure de Maurice, et d’une voix étranglée :

— Comment ! vous ne savez pas, fit-il, elle ne s’était donc pas confiée à vous ?

— Non… J’avais surpris le secret de sa grossesse, et j’ai été, j’en suis sûr, le seul à le surprendre…

— Le seul !… mais alors notre enfant est mort, peut-être, et s’il vit qui me dira où il est !