Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/487

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Mme Blanche frissonna.

— Eh !… répondit-elle ; que t’importe !

— C’est que j’ai cruellement souffert, pendant plus de trois heures que je t’ai attendue. Qu’est-ce que ces cris déchirants que j’entendais ? Pourquoi appelais-tu au secours ?… Je distinguais comme un râle qui me faisait dresser les cheveux sur la tête… D’où vient que Chupin t’a emportée entre ses bras ?…

Tante Médie eût peut-être fait ses malles le soir même, et quitté Courtomieu, si elle eût vu de quels regards l’enveloppait sa nièce.

En ce moment, Mme Blanche souhaitait la puissance de Dieu pour foudroyer, pour anéantir cette parente pauvre, irrécusable témoin qui d’un mot pouvait la perdre, et qu’elle aurait toujours près d’elle, vivant reproche de son crime.

— Tu ne me réponds pas ?… insista la pauvre tante.

C’est que la jeune femme en était à se demander si elle devait dire la vérité, si horrible qu’elle fût, ou inventer quelque explication à peu près plausible.

Tout avouer ! C’était intolérable, c’était renoncer à soi, c’était se mettre corps et âme à l’absolue discrétion de tante Médie.

D’un autre côté, mentir, n’était-ce pas s’exposer à ce que tante Médie la trahit par quelque exclamation involontaire quand elle viendrait, ce qui ne pouvait manquer, à apprendre le crime de la Borderie ?

— Car elle est stupide ! pensait Mme Blanche.

Le plus sage était encore, elle le comprit, d’être entièrement franche, de bien faire la leçon à la parente pauvre et de s’efforcer de lui communiquer quelque chose de sa fermeté.

Et cela résolu, la jeune femme dédaigna tous les ménagements…

— Eh bien !… répondit-elle, j’étais jalouse de Marie-Anne, je croyais qu’elle était la maîtresse de Martial, j’étais folle, je l’ai tuée !…

Elle s’attendait à des cris lamentables, à des évanouis-