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Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/492

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Mais s’il était capable des pires perfidies dès que sa passion était en jeu, il était incapable d’une basse rancune.

Marie-Anne morte, il dépendait uniquement de lui d’anéantir les grâces qu’il avait obtenues ; l’idée ne lui en vint même pas. Insulté, il mit une affectation dédaigneuse à écraser ceux qui l’insultaient par sa magnanimité.

Et lorsqu’il sortit de la Borderie, plus pâle qu’un spectre, les lèvres encore glacées du baiser donné à la morte, il se disait :

— Pour elle, j’irai à Courtomieu… En mémoire d’elle, le baron doit être sauvé.

À la seule physionomie des valets quand il descendit de cheval dans la cour du château et qu’il demanda Mme Blanche, le marquis de Sairmeuse fut averti de l’impression qu’il allait produire.

Mais que lui importait ! Il était dans une de ces crises de douleur où l’âme devient indifférente à tout, n’apercevant plus de malheur possible.

Il tressaillit pourtant, lorsqu’on l’introduisit dans un petit salon du rez-de-chaussée, tendu de soie bleu.

Ce petit salon, il le reconnaissait. C’était là que d’ordinaire se tenait Mme Blanche, autrefois, dans les premiers temps qu’il la connaissait, lorsque son cœur hésitait encore entre Marie-Anne et elle, et qu’il lui faisait la cour…

Que d’heures heureuses ils y avaient passé ensemble. Il lui semblait la revoir, telle qu’elle était alors, radieuse de jeunesse, insoucieuse et rieuse… sa naïveté était peut-être cherchée et voulue, en était-elle moins adorable.

Cependant, Mme Blanche entrait…

Elle était si défaite et si changée, que c’était à ne la pas reconnaître, on eût dit qu’elle se mourait. Martial fut épouvanté.

— Vous avez donc bien souffert, Blanche, murmura-t-il sans trop savoir ce qu’il disait.