Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/493

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Elle eut besoin d’un effort pour garder le secret de sa joie. Elle comprenait qu’il ne savait rien. Elle voyait son émotion et tout le parti qu’elle en pouvait tirer.

— Je n’ai pas su me consoler de vous avoir déplu, répondit-elle d’une voix navrante de résignation, je ne m’en consolerai jamais.

Du premier coup, elle touchait la place vulnérable chez tous les hommes.

Car il n’est pas de sceptique, si fort, si froid ou si blasé qu’on le suppose, dont la vanité ne s’épanouisse délicieusement à l’idée qu’une femme meurt de son abandon.

Il n’en est pas qui ne soit touché de cette divine flatterie, et qui ne soit bien près de la payer au moins d’une tendre pitié.

— Me pardonneriez-vous donc ? balbutia Martial ému.

L’admirable comédienne détourna la tête, comme pour empêcher de lire dans ses yeux l’aveu d’une faiblesse dont elle avait honte. C’était la plus éloquente des réponses.

Martial, cependant, n’insista pas. Il présenta sa requête qui lui fut accordée, et craignant peut-être de trop s’engager :

— Puisque vous le permettez, Blanche, dit-il, je reviendrai… demain… un autre jour.

Tout en courant sur la route de Montaignac, Martial réfléchissait.

— Elle m’aime vraiment, pensait-il, on ne feint ni cette pâleur, ni cet affaissement. Pauvre fille !… C’est ma femme, après tout. Les raisons qui ont déterminé notre rupture n’existent plus… On peut considérer le marquis de Courtomieu comme mort…

Tout le village de Sairmeuse était sur la place, quand Martial le traversa. On venait d’apprendre le crime de la Borderie, et l’abbé Midon était chez le juge de paix pour l’informer des circonstances de l’empoisonnement.

Une instruction fut ouverte, mais la mort du vieux maraudeur devait égarer la justice.