Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/51

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Ah ! s’il eût pu se douter de cela quand Martial était debout devant lui, à portée de sa main, il eût fait payer cher au fils l’odieuse conduite du père.

Mais il se jurait bien que le châtiment n’était que différé.

Et ce n’était pas, de sa part, forfanterie de la colère. Ce jeune homme si modeste et si doux avait un cœur inaccessible à la crainte. Ses beaux yeux noirs et profonds, qui avaient la timidité tremblante des yeux d’une jeune fille, savaient aller droit à l’ennemi comme une lame d’épée.

Lorsque M. Lacheneur eut terminé par la dernière phrase qu’il avait adressée au duc de Sairmeuse, M. d’Escorval lui tendit la main.

— Je vous ai dit jadis que j’étais votre ami, prononça-t-il d’une voix émue, je dois vous dire aujourd’hui que je suis fier d’avoir un ami tel que vous.

Le malheureux tressaillit au contact de cette main loyale qui lui était tendue, et son visage trahit une sensation d’une ineffable douceur.

— Si mon père n’eût pas rendu, murmura l’opiniâtre Marie-Anne, mon père n’eût été qu’un dépositaire infidèle… un voleur. Il a fait son devoir.

M. d’Escorval se retourna, un peu surpris, vers la jeune fille.

— Vous dites vrai, mademoiselle, fit-il d’un ton de reproche ; mais lorsque vous aurez mon âge et mon expérience, vous saurez que l’accomplissement d’un devoir est, en certaines circonstances, un héroïsme dont peu du gens sont capables.

M. Lacheneur s’était redressé.

— Ah !… vos paroles me font du bien, monsieur le baron, dit-il, maintenant je suis content d’avoir agi comme je l’ai fait.

La baronne d’Escorval se leva, trop femme pour savoir résister aux généreuses inspirations de son cœur.

— Moi aussi, monsieur Lacheneur, prononça-t-elle, je veux vous serrer la main. Je veux vous dire que je vous