Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/510

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Et c’est d’une voix qui avait quelque chose du sifflement de la vipère se redressant pour mordre, qu’elle poursuivit :

— Eh bien ! cela me décide. Je suppliais, tu m’as brutalement repoussée, maintenant je commande et je dis : je veux ! Oui, j’entends et je prétends aller avec vous à Paris… et j’irai. Ah ! ah !… cela te surprend d’entendre parler ainsi cette pauvre bonne bête de tante Médie. C’est comme cela. Il y a si longtemps que je souffre, que je me révolte à la fin. Car j’ai souffert la passion chez vous. C’est vrai, vous m’avez recueillie, vous m’avez nourrie et logée, mais vous m’avez pris en échange ma vie entière, heure par heure. Quelle servante jamais endurerait tout ce que j’ai supporté… As-tu jamais, Blanche, traité une de tes femmes comme tu me traitais, moi qui porte votre nom ! Et je n’avais pas de gages, moi ; bien au contraire je vous devais de la reconnaissance, puisque je vivais à vos crochets. Ah ! le crime d’être pauvre, vous me l’avez fait payer cher. M’avez-vous assez ravalée, assez abaissée, assez foulée aux pieds !… À une livre de pain par humiliation, vous êtes en reste avec moi !…

Elle s’arrêta.

Tout le fiel qui depuis des années, goutte à goutte, s’amassait en elle, lui remontait à la gorge et l’étouffait.

Mais ce fut l’affaire d’une seconde, et d’un ton d’amère ironie :

— Tu me demandes ce que je ferai à Paris, continua-t-elle. J’y prendrai du bon temps, donc ! Qu’y feras-tu toi-même ? Tu iras à la cour, n’est-ce pas, au bal, au spectacle. Eh bien ! je t’y suivrai. Je serai de toutes tes fêtes. J’aurai enfin de belles toilettes, moi qui depuis que je me connais ne me suis jamais vue que de tristes robes de laine noire. Avez-vous jamais songé à me donner la joie d’une toilette ? Oui, deux fois par an on m’achetait une robe de soie noire, en me recommandant de bien la ménager… Mais ce n’était pas pour moi que