Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/53

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garder, tant mieux ! Plus leur conduite à mon égard sera honteuse, infâme, odieuse, plus je serai satisfait…

Le baron ne répliqua pas, mais sa femme prit la parole, ayant, croyait-elle, un moyen sûr de vaincre cette incompréhensible obstination.

— Je comprendrais votre résolution, monsieur, dit-elle, si vous étiez seul au monde, mais vous avez des enfants…

— Mon fils a dix-huit ans, madame, une bonne santé et de l’éducation… il se tirera d’affaire tout seul à Paris, à moins qu’il ne préfère ici me seconder.

— Mais votre fille ?…

— Marie-Anne restera près de moi.

M. d’Escorval crut devoir intervenir.

— Prenez garde, mon cher ami, dit-il, que la douleur ne vous égare. Réfléchissez… Que deviendrez-vous, votre fille et vous ?…

Le pauvre dépossédé eut un sourire navrant.

— Oh !… répondit-il, nous ne sommes pas aussi dénués que je l’ai dit, j’ai exagéré. Nous sommes propriétaires encore. L’an dernier, une vieille cousine à moi, que je n’avais jamais pu déterminer à venir habiter Sairmeuse, est morte en nommant Marie-Anne héritière de tout son bien… Tout son bien, c’était une méchante masure tout en haut de la lande de la Rèche, avec un petit jardin devant et quelques perches de mauvais terrain. Cette masure, je l’ai fait réparer sur les prières de ma fille, et j’y ai fait même porter quelques meubles, deux mauvais lits, une table, quelques chaises… Ma fille comptait y établir gratis, en manière de retraite, le père Grivat et sa femme… Et moi, du sein de mon opulence, je disais : « Mais ils seront supérieurement là dedans, ces deux vieux, ils vivront comme des coqs en pâte !… » Eh bien ! ce que je jugeais si bon pour les autres, sera bon pour moi… Je cultiverai des légumes et Marie-Anne ira les vendre…

Parlait-il sérieusement ?