Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/531

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Souvent le misérable avait des lubies.

Il déclarait, par exemple, que se présenter sans cesse à l’hôtel de Sairmeuse lui répugnait, que les domestiques le traitaient comme un mendiant et que cela l’humiliait ; bref, qu’il écrirait désormais…

Et le lendemain, en effet, il écrivait à Mme Blanche :

« Apportez-moi telle somme, à telle heure, à tel endroit. »

Et elle, la fière duchesse de Sairmeuse, elle était toujours exacte au rendez-vous.

Puis, c’était sans cesse quelque invention nouvelle, comme s’il eût trouvé une jouissance extraordinaire à constater continuellement son pouvoir et à en abuser. C’était à le croire, tant il y déployait de science, de méchanceté et de raffinements cruels.

Il avait rencontré, Dieu sait où ! une certaine Aspasie Clapard, il s’en était épris, et bien qu’elle fût plus vieille que lui, il avait voulu l’épouser. Mme Blanche avait payé la noce…

Une autre fois, il voulut s’établir, résolu, disait-il, à vivre de son travail. Il acheta un fonds de marchand de vin que la duchesse paya et qui fut bu en un rien de temps.

Il eut un enfant, et Mme de Sairmeuse dut payer le baptême comme elle avait payé la noce, trop heureuse que Chupin n’exigeât pas qu’elle fût marraine du petit Polyte. Il avait eu un moment cette idée…

A deux reprises, Mme Blanche fut obligée d’accompagner à Vienne et à Londres, son mari, chargé d’importantes missions diplomatiques. Elle resta près de trois ans à l’étranger…

Eh bien ! pendant tout ce temps, elle reçut chaque semaine une lettre, au moins, de Chupin…

Ah ! que de fois elle envia le sort de sa victime ! Qu’était, comparée à sa vie, la mort de Marie-Anne !…

Elle souffrait depuis autant d’années bientôt que Marie-Anne avait souffert de minutes, et elle se disait que les tortures du poison ne devaient pas être bien plus intolérables que ses angoisses…