Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/539

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destination sacrée. Il l’y employa tout entier sans en détourner rien pour ses besoins personnels.

Il n’avait plus un sou en poche, quand le directeur d’une troupe ambulante l’engagea à raison de 45 francs par mois.

De ce jour, il vécut comme vivent les pauvres comédiens nomades, à l’aventure ; mal payé, toujours pris entre un manque d’engagement et la faillite d’un directeur.

Sa haine était toujours aussi violente ; seulement, pour se venger comme il l’entendait, il avait besoin de temps, c’est-à-dire d’argent devant soi.

Or, comment économiser, lorsqu’il n’avait pas toujours de quoi manger à sa faim !

Il était loin, cependant, de renoncer à ses espérances. Ses rancunes étaient de celles que le temps aigrit et exaspère, au lieu de les adoucir et de les calmer. Il attendait une occasion, avec une rageuse patience, suivant de l’œil, des profondeurs de sa misère, la brillante fortune des Sairmeuse.

Il attendait depuis seize ans, quand un de ses amis lui procura un engagement en Russie.

L’engagement n’était rien ; mais le pauvre comédien eut l’habileté de s’associer à une entreprise théâtrale, et en moins de six ans, il avait réalisé un bénéfice de cent mille francs.

— Maintenant, se dit-il, je puis partir ; je suis assez riche pour commencer la guerre.

Et, en effet, six semaines plus tard, il arrivait à Sairmeuse.

Au moment de mettre à exécution quelqu’un de ces atroces projets qu’il avait conçus, il venait demander à la tombe de Marie-Anne un redoublement de haine et l’impitoyable sang-froid des justiciers.

Il ne venait que pour cela, en vérité, quand le soir même de son arrivée les caquets d’une paysanne lui apprirent que depuis son départ, c’est-à-dire depuis plus