Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/541

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tant qu’elle en voulait, jusqu’à plus soif, d’une dame de haut parage, la duchesse de Sairmeuse…

Lacheneur eut un mouvement si terrible, que la vieille et son fils reculèrent…

Il voyait l’étroite relation entre les recherches de Mme Blanche et ses générosités. La vérité éclairait le passé de ses fulgurantes lueurs…

— C’est elle, se dit-il, l’infâme, qui a empoisonné Marie-Anne… C’est par ma sœur qu’elle a connu l’existence de l’enfant… Elle a comblé Chupin parce qu’il connaissait le crime dont son père a été le complice…

Il se souvenait du serment de Martial, et son cœur était inondé d’une épouvantable joie. Il voyait ses deux ennemis, le dernier des Sairmeuse et la dernière des Courtomieu, punis l’un par l’autre et faisant de leurs mains sa besogne de vengeur…

Ce n’était là cependant qu’une présomption, et il voulait une certitude.

Il sortit de sa poche une poignée d’or, et l’étalant sur la table du cabaret :

— Je suis très-riche, dit-il à la veuve et à Polyte… voulez-vous m’obéir et vous taire ? votre fortune est faite.

Le cri rauque arraché par la convoitise à la mère et au fils valait toutes les protestations d’obéissance.

La veuve Chupin savait écrire, Lacheneur lui dicta ce terrible billet :

« Madame la duchesse,

« Je vous attends demain à mon établissement, entre midi et quatre heures. C’est pour l’affaire de la Borderie. Si à cinq heures, je ne vous ai pas vue, je porterai à la poste une lettre pour M. le duc… ».

— Et si elle vient, répétait la veuve stupéfiée, que lui dire ?…

— Rien ; vous lui demanderez de l’argent.

Et, en lui-même, il se disait :

— Si elle vient, c’est que j’ai deviné…

Elle vint.