Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/554

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de son costume. Puis il songea que sachant où se rendait sa femme, il trouverait toujours, pour la rejoindre, une autre voiture.

Il en trouva une, en effet, dont le cocher, grâce à dix francs de pourboire exigés d’avance, le mena grand train jusqu’à la rue du Château-des-Rentiers.

Il venait de mettre pied à terre, quand il entendit le roulement sourd d’une autre voiture, qui brusquement s’arrêta à quelque distance.

— Décidément, se dit-il, Otto me suit.

Et il s’engagea dans les terrains vagues.

Tout était ténèbres et silence, et le brouillard puant qui annonçait le dégel s’épaississait. Martial trébuchait et glissait à chaque pas, sur le sol inégal et couvert de neige.

Il ne tarda pas, cependant, à apercevoir une masse noire au milieu du brouillard. C’était la Poivrière. La lumière de l’intérieur filtrait par les ouvertures en forme de cœur, des volets, et de loin on eût dit de gros yeux rouges, dans la nuit…

Était-il vraiment possible que la duchesse de Sairmeuse fût là !…

Doucement, Martial s’approcha des volets, et, s’accrochant aux gonds et à une des ouvertures, il s’enleva à la force des poignets et regarda.

Oui, sa femme était bien dans le bouge infâme.

Elle était assise à une table, ainsi que Camille, devant un saladier de vin, en compagnie de deux hideux gredins et d’un tout jeune soldat.

Au milieu de la pièce, une vieille femme, la Chupin, un petit verre à la main, pérorait et ponctuait ses phrases de gorgées d’eau-de-vie.

L’impression de Martial fut telle, qu’il se laissa retomber à terre.

Un rayon de pitié pénétra en son âme, car il eut comme une vague notion de l’effroyable supplice qui avait été le châtiment de l’empoisonneuse.

Mais il voulait voir encore, il se haussa de nouveau.