Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/558

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parences, et quand elle se trouve en face d’un mystère, elle n’a ni repos ni trêve qu’elle ne l’ait éclairci.

Martial ne le comprenait que trop, une fois son identité constatée, on chercherait les raisons de sa présence à la Poivrière, on ne tarderait pas à les découvrir, on arriverait jusqu’à la duchesse, et alors le crime de la Borderie émergerait des ténèbres du passé.

C’était la cour d’assises, la maison centrale, un scandale effroyable, le déshonneur, une honte éternelle…

Et sa puissance d’autrefois, loin de le protéger, l’écrasait. Qui donc l’avait remplacé aux affaires ? Ses adversaires politiques, et parmi eux deux ennemis personnels à qui il avait infligé de ces atroces blessures d’amour-propre qui jamais ne se cicatrisent. Quelle occasion de vengeance pour eux !…

À cette idée d’une flétrissure ineffaçable, imprimée à ce grand nom de Sairmeuse, qui avait été sa force et sa gloire, sa tête s’égarait.

— Mon Dieu !… murmurait-il, inspirez-moi… Comment sauver l’honneur du nom !

Il ne vit qu’une chance de salut : mourir, se suicider dans ce cabanon. On le prenait encore pour un de ces gredins qui hantent les banlieues ; mort, on ne s’inquiéterait que médiocrement de son identité.

— Allons !… il le faut ! se dit-il.

Déjà il cherchait comment accomplir son dessein, quand il entendit un grand mouvement, à côté, dans le poste, des trépignements et des éclats de rire.

La porte du violon s’ouvrit, et les sergents de ville y poussèrent un homme qui fit deux ou trois pas, chancela, tomba lourdement à terre, et presque aussitôt se mit à rouler. Ce n’était qu’un ivrogne…

Cependant un rayon d’espoir illuminait le cœur de Martial. En cet ivrogne, il avait reconnu Otto, déguisé, presque méconnaissable.

La ruse était hardie, il fallait se hâter d’en profiter et de défier de la surveillance. Martial s’étendit sur le banc,