Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/561

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soi de lui en vouloir. Fidèle à son caractère, qui le portait à rendre quand même justice à ses ennemis, il ne pouvait s’empêcher d’admirer l’étonnante pénétration et la ténacité de ce jeune policier qui luttait seul contre tous pour la vérité.

Il est vrai de dire que si l’attitude de Martial fut merveilleuse, on le servit au dehors avec une admirable précision.

Toujours Lecoq fut devancé par Otto, ce mystérieux complice qu’il devinait et ne pouvait saisir. À la Morgue comme à l’hôtel de Mariembourg, près de Toinon-la-Vertu, la femme de Polyte Chupin, aussi bien que près de Polyte lui-même, partout Lecoq arriva deux heures trop tard.

Lecoq surprit la correspondance de son énigmatique prévenu ; il en devina la clef si ingénieuse, mais cela ne lui servit de rien. Un homme qui avait deviné en lui un rival ou plutôt un maître futur le trahit.

Si les démarches du jeune policier près du bijoutier et de la marquise d’Arlange n’eurent pas le résultat qu’il espérait, c’est que Mme Blanche n’avait pas acheté les boucles d’oreille qu’elle portait à la Poivrière ; elle les avait échangées avec une de ses amies, la baronne de Watchau.

Enfin, si personne à Paris ne s’aperçut de la disparition de Martial, c’est que, grâce à l’entente de la duchesse, de Otto et de Camille, personne à l’hôtel de Sairmeuse, ne soupçonna son absence. Pour tous les domestiques, le maître était dans son appartement, souffrant, on lui faisait faire des tisanes, on montait son déjeuner et son dîner chaque jour.

Le temps passait cependant, et Martial s’attendait bien à être renvoyé devant la cour d’assises et condamné sous le nom de Mai, lorsque l’occasion lui fut bénévolement offerte de s’évader.

Trop fin pour ne pas éventer le piège, il eut dans la voiture cellulaire quelques minutes d’horrible indécision…