Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il se tut, attendant son arrêt…

— Je vous approuve, mon fils, dit M. d’Escorval d’un son de voix profond, vous venez de vous conduire en honnête homme… Certes, vous êtes bien jeune pour devenir le chef d’une famille, mais, vous l’avez dit, les circonstances commandent.

Il se retourna vers M. Lacheneur, et ajouta :

— Mon cher ami, je vous demande pour mon fils la main de Marie-Anne.

Maurice n’avait pas espéré un succès si facile…

Dans son délire, il était presque tenté de bénir cet haïssable duc de Sairmeuse, auquel il allait devoir un bonheur si prochain…

Il s’avança vivement vers son père, et lui prenant les mains, il les porta à ses lèvres, en balbutiant :

— Merci !… vous êtes bon !… je vous aime !… Oh ! que je suis heureux !

Hélas ! le pauvre garçon se hâtait trop de se réjouir. Un éclair d’orgueil avait brillé dans les yeux de M. Lacheneur, mais il reprit vite son attitude morne.

— Croyez, monsieur le baron, que je suis profondément touché de votre grandeur d’âme… oh ! oui, bien profondément. Vous venez d’effacer jusqu’au souvenir de mon humiliation… Mais pour cela précisément, je serais le dernier des hommes si je ne refusais pas l’insigne honneur que vous faites à ma fille.

— Quoi !… fit le baron stupéfait, vous refusez…

— Il le faut.

Foudroyé tout d’abord, Maurice s’était redressé, puisant dans son amour une énergie qu’il ne se connaissait pas.

— Vous voulez donc briser ma vie, monsieur, s’écria-t-il, briser notre vie, car si j’aime Marie-Anne… elle m’aime…

Il disait vrai, il était aisé de le voir. La malheureuse jeune fille, si rouge l’instant d’avant, était devenue plus blanche que le marbre, elle semblait atterrée et adressait à son père des regards éperdus.