Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/94

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privoiserai. Pour la fille, mon rôle est tout tracé. Même, je profiterai de la détestable impression que j’ai produite. Je me montrerai aussi timide que j’ai été hardi, et ce sera bien le diable si elle n’est pas touchée et flattée de ce triomphe de sa beauté. Reste le d’Escorval.

C’était là que le bât blessait Martial, ainsi qu’il se le répétait en ce langage trivial qu’on emploie vis-à-vis de soi.

Il avait bien vu M. Lacheneur chasser brutalement Maurice, mais sa colère lui avait paru bien grande pour être absolument réelle.

Il soupçonnait une comédie, mais pour qui ? Pour lui, Martial, ou pour Chanlouineau ?… Et encore dans quel but ?…

— En attendant, disait-il, me voici les mains liées, et empêché de demander compte à ce petit d’Escorval de son insolence. Digérer un affront en silence… c’est dur. Puis, il est brave, c’est incontestable ; peut-être s’avisera-t-il de venir me provoquer de nouveau. Que faire en ce cas ?… Il est d’assez bonne noblesse pour que je n’aie aucune satisfaction à lui refuser. D’un autre côté, si j’avais seulement le malheur de faire tomber un cheveu de sa tête, Marie-Anne ne me le pardonnerait jamais… Ah ! je donnerais bonne chose en échange d’un petit expédient pour le forcer à quitter le pays.

Tout en roulant dans son esprit ces projets dont il ne pouvait ni prévoir, ni calculer les épouvantables conséquences, Martial arrivait à l’avenue de Sairmeuse, quand il lui sembla entendre des pas précipités derrière lui.

Il se retourna, et voyant deux hommes qui accouraient en faisant des signes, il s’arrêta.

C’était Chupin et un de ses fils.

Le vieux maraudeur, le dimanche soir, s’était faufilé parmi les gens chargés d’aller préparer à Sairmeuse les appartements, il avait déjà trouvé le secret de se rendre utile, il visait à devenir indispensable.

— Ah ! monsieur le marquis, s’écria-t-il dès qu’il fut à