Page:Gaboriau - Monsieur Lecoq, Dentu, 1869, tome 2.djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Martial se tut, honteux peut-être de s’être laissé prendre aux amorces de ce vieux, mais satisfait d’être averti de cette circonstance si importante.

Si Chupin ne mentait pas, et quelles raisons pouvait-il avoir de mentir, il devenait évident que la conduite de M. Lacheneur cachait quelque gros mystère. Comment, sans quelque tout-puissant motif, eût-il refusé sa fille à Maurice d’Escorval qu’elle aimait, pour la donner à un paysan ?…

Ce motif, Martial se jurait de le pénétrer, quand il arriva à Sairmeuse. Un singulier spectacle l’y attendait. Dans le grand espace sablé qui s’étendait entre le parterre et le perron du château, se trouvaient amoncelés toutes sortes d’effets d’habillement, du linge, de la vaisselle, des meubles… On eût dit un déménagement. Une demi-douzaine d’hommes allaient et venaient, et debout au milieu de ce remue-ménage, le duc de Sairmeuse donnait des ordres.

Martial ne comprit pas tout d’abord. Il s’avança donc vers son père, et après l’avoir respectueusement salué :

— Qu’est-ce que cela ?… demanda-t-il.

M. de Sairmeuse éclata de rire.

— Comment, vous ne devinez pas ?… fit-il. C’est cependant bien simple. Qu’un maître légitime, à son retour, couche dans les draps d’un usurpateur, c’est charmant pour une première nuit, pour une seconde, non. Ici tout rappelait trop mons Lacheneur. Il me semblait que j’étais chez lui, et ça m’assassinait. J’ai donc fait rassembler et descendre sa défroque, celle de sa fille, tout ce qui n’est pas de l’ancien mobilier du château… On va charger le tout sur une charrette et le lui porter…

Le jeune marquis de Sairmeuse bénit le ciel d’être arrivé si à point. Le projet de son père exécuté, il eût pu dire adieu à ses espérances.

— Vous ne ferez pas cela, monsieur le duc, dit-il.

— Hein !… pourquoi ? Qui m’en empêcherait, je vous prie ?